22 janvier 2010

The Enchantress of Florence

Mi-décembre, déambulant comme une âme en peine dans les allées de ma bibliothèque de quartier (j'étais allée emprunter Si c'est un homme pour le Blogoclub mais il avait mystérieusement disparu des étagères, et plusieurs autres titres qui m'auraient tentée brillaient également par leur absence), mon regard a été attiré par cette magnifique couverture, et je me suis souvenue vaguement avoir lu un billet élogieux chez Casanova.

Tout ce que je savais de Salman Rushdie, c'est qu'il avait fait l'objet d'une fatwa (menaces de morts de la part d'extrémistes musulmans) pour son roman Les Versets sataniques et que cela avait fait de lui un symbole de la liberté d'expression et même une icône populaire (il a fait de brèves apparitions dans divers films et séries télévisées). Dans ma tête, menaces de mort = sujet sérieux, remises en question philosophiques et idéologiques...

Quelle ne fut pas ma surprise de constater que ce roman est tout sauf noir ou aride, qu'on y retrouve au contraire une grande beauté, beaucoup d'humour et de fantaisie. Il s'agit en fait d'une sorte de conte pour adultes, avec des pirates, des géants albinos, un miroir magique et une femme aux pouvoirs mystérieux... mais aussi des personnages historiques comme Machiavel, Boticelli, les Médicis, Andrea Doria (fameux mercenaire et amiral génois) et surtout l'empereur moghol Akbar.

Faisant quelques recherches sur Salman Rushdie, j'ai découvert que son oeuvre faisait partie d'un mouvement littéraire appelé le «réalisme magique» (genre où des éléments surnaturels apparaissent dans un cadre historique et géographique réaliste). Nouvelle surprise, certains de mes auteurs favoris sont cités comme faisant partie de ce mouvement, notamment Gabriel Garcia Marquez, Isabel Allende, Italo Calvino, Michel Tournier et même Michel Tremblay! Il n'est donc pas étonnant que je me sois sentie aussi à l'aise chez Rushdie.

De plus, j'ai beaucoup apprécié son style d'écriture. Ses phrases sont très travaillées, je dirais presque ciselées, il faut lire lentement pour bien les savourer.


The Enchantress of Florence de Salman Rushdie, éditions Alfred A. Knopf Canada, 2008, 356 p. Titre de la version française: L'Enchanteresse de Florence.

08 janvier 2010

Une Vie française

Dans ce roman, à travers la vie de son personnage principal, Jean-Paul Dubois passe en revue les différentes étapes que la France a traversées de l'après-guerre à nos jours: l'immobilisme et la frustration des années 50-60, l'explosion en mai 68, les expériences sexuelles et le bouleversement des années 70, le matérialisme des années 80 et la centralisation de la gauche, la mondialisation et les scandales financiers des années 90 (on voit que rien n'a changé...), la peur du terrorisme dans les années 2000..., chaque chapitre portant le nom du Président de la République au pouvoir durant la période couverte.

Peut-être parce que je ne suis vraiment pas ferrée en Histoire française contemporaine (et ce livre m'a fait réaliser à quel point, car plusieurs évènements évoqués ne me disaient rien), peut-être parce que le personnage principal, détaché de tout et de tous, qui s'isole volontairement et se laisse voguer au gré des péripéties de sa vie, ne m'a pas touchée, ce roman m'a semblé un peu décousu (presque autant que cette phrase) et me laisse perplexe en bout de ligne. Je comprends bien que l'auteur a voulu nous dire quelque chose sur son pays, mais l'étrange fin est venue embrouiller le message, en tous cas dans mon cas... Je ne dis pas que c'est mauvais, certains passages sont très réussis (le voyage autour du monde pour photographier des arbres, la relation avec la mère), mais l'ensemble est inégal.

Après un premier rendez-vous réussi (Vous plaisantez, monsieur Tanner, dans un style beaucoup plus léger), cette deuxième rencontre m'a malheureusement un peu ennuyée et je ne suis pas sûre qu'il y en aura une troisième, même si je reconnais à M. Dubois des qualités d'écriture indéniables.


Les billets de Jules (qui a aimé l'écriture et l'aspect presque biographique du roman), de Sylvie (qui contrairement à moi s'est identifiée aux personnages), de Cécile (qui a trouvé que les défauts du personnage le rendaient attachant), de Cryssilda (qui s'est sentie vraiment française!), de Clarinette (qui compare Dubois à John Irving!), de Pascal (qui l'a trouvé fort et lucide, tendre et émouvant)... Décidément, je suis la seule à ne pas avoir été emballée!


Une Vie française de Jean-Paul Dubois, Éditions de l'Olivier/Le Seuil, 2004, 357 p.

04 janvier 2010

Si c'est un homme

Vu son sujet, les mémoires d'un prisonnier italien juif survivant d'Auschwitz, je pensais que ce livre serait une lecture très pénible. Mais heureusement, Levi nous raconte la vie au camp de concentration d'une façon très factuelle, presque scientifique, avec parfois même une touche d'humour. Et la curiosité scientifique se joint à la compassion qu'on ressent pour ces pauvres êtres, car le camp devient un extraordinaire laboratoire d'étude de la nature humaine (je sais que cela a l'air terriblement froid et cynique de dire cela, mais c'est Levi qui le dit, c'est pourquoi je me permets de le répéter). De plus, on sent qu'il a avant tout voulu porter un témoignage, et non inspirer la pitié ou attiser la haine.

Naïvement, je croyais que les opprimés auraient naturellement tendance à s'allier contre l'oppresseur. Mais non, il semble que lorsque cela devient une question de survie, l'instinct prend le dessus, sauf exception c'est vraiment chacun pour soi et les notions mêmes de Bien et de Mal n'ont plus de sens. Il s'installe entre les prisonniers une étrange hiérarchie basée sur la date d'arrivée, la nationalité (des informations que les prisonniers savent décoder des matricules tatoués sur leur avant-bras!) et les chances de survie (aptitudes physiques, ruse, connaissance d'un métier utile aux Allemands), et le vol devient si courant qu'il faut garder sur soi toutes ses maigres possessions (gamelle, cuiller, ses souliers la nuit, etc). Dans ce contexte, une simple conversation entre deux prisonniers sur la poésie de Dante devient presque surréaliste et fait office de bouée de sauvetage dans ce monde déshumanisant. Et l'éclosion d'une amitié dans cet enfer prend l'allure d'une victoire de l'Humanité.

Un passage marquant:

«Depuis ce jour-là, j'ai pensé bien des fois et de bien des façons au Doktor Pannwitz. (...) Car son regard ne fut pas celui d'un homme à un autre homme; et si je pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la grande folie du Troisième Reich. (p.113)

Je l'avoue, je ne lis pas toujours les appendices et autres postfaces, mais celui inséré dans cette édition Pocket est vraiment intéressant. Levi y répond aux questions qu'on lui posait le plus souvent lors de ses conférences: êtes-vous retournés à Auschwitz après la guerre, pourquoi les prisonniers ne se rebellaient-ils pas, éprouvez-vous de la haine pour le peuple allemand, etc.


En complément de programme, j'ai lu la très intéressante plaquette d'une soixantaine de pages Conversations avec Primo Levi de l'écrivain italien Ferdinando Camon. Ces entretiens sont regroupés par thèmes (l'Allemagne, le judaïsme, Israël, les camps de concentrations russes, etc) et apportent des réflexions passionnantes sur ces sujets.


Pour les billets des autres membres du club de lecture, suivez les liens chez l'une de nos deux chouettes organisatrices, Sylire.

Si c'est un homme de Primo Levi, traduit de l'italien, éditions Julliard (Pocket), 1987, 214 p. La version originale, Se questo è un uomo, date de 1958.
Conversations avec Primo Levi de Ferdinando Camon, traduit de l'italien, Gallimard, 1991, 68 p. La version originale, Conversazione con Primo Levi, date de 1987.